Entretien avec Marc Bachraty

Pour notre second invité de la saison, nous avons eu le plaisir de recevoir Marc Bachraty Sensei, durant un stage dominical où les participants et la bonne humeur étaient au rendez-vous.

Pendant ces quatre heures ensemble, ce sont les principes des postures et des attitudes justes qui ont été mis à l’honneur : le travail des appuis et du dos ainsi que de l’axe et des épaules a notamment permis d’illustrer les concepts de verticalité et de linéarité. Ces notions ont été mises en application dès le début de la journée avec la pratique du bokken, permettant au Sensei de faire le lien progressif entre le travail des armes et le travail à mains nues en aïkido (en début d’après-midi, c’est le jo qui permettra à tous de se remettre en selle après un repas copieux !). Marc Bachraty Sensei a en effet souhaité axer son enseignement sur la précision et sur la logique des déplacements, permettant ainsi aux débutants comme aux confirmés de s’exercer sur-le-champ et d’y trouver leur compte.

Marc Bachraty

A la fin de cette journée, nous avons pu prendre quelques instants avec Marc afin de revenir avec lui sur son parcours et sur sa pratique de l’aïkido, le tout avec beaucoup d’humilité et de simplicité.

Bonjour Marc, et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions ! Pouvez-vous nous parler de votre parcours d’aïkidoka ?

En fait, j’ai commencé par pratiquer le judo dès l’âge de quatre ans, lorsque j’étais en Outre-Mer (en Guyane française), jusqu’à l’âge de neuf ans. Mais lorsque je suis revenu en France, je me suis inscrit à un club de football comme tout le monde ! Il s’avère toutefois qu’en grandissant, j’étais un peu puéril et pas très bon au niveau scolaire (je me faisais gronder car je riais toujours aux blagues des copains, sans arriver à suivre le cours) et mes fréquentations n’étaient pas très recommandables. Cela inquiétait pas mal mes parents et moi aussi par la même occasion. J’ai donc voulu rompre avec ces mauvaises habitudes, et me suis dit : « Pourquoi ne pas revenir à des valeurs que j’aime ? ».  J’ai alors voulu faire de la boxe américaine (ou full contact, NDLR) car cela venait d’arriver en France mais mon père, qui avait fait de la boxe anglaise, m’a dit « Non, non, hors de question, tu ne vas pas te faire taper dessus ! ». Alors je suis allé à la librairie et j’ai acheté un petit fascicule sur les arts martiaux traditionnels, dans lequel étaient mentionnés l’aïkido, le karaté et le judo, et la partie sur l’aïkido m’a vraiment parlé. Or, il s’avère qu’à côté de chez moi il y avait un club, dont le professeur était Mariano Aristin, qui est aujourd’hui septième Dan. J’avais alors 16 ans !

Au début, je n’y comprenais absolument rien. Moi qui venais du football, j’étais très bien accueilli par les adultes, les assouplissements me plaisaient, mettre le kimono me faisait du bien mais j’étais nul et je ne comprenais rien ! Puis les adultes m’ont pris en main et m’ont donné le goût de la pratique. Ça a commencé à me plaire et je me suis alors réellement investi, venant aux entrainements deux fois par semaine, puis trois, puis cinq ! Les adultes gradés m’ont emmené en stage, notamment à l’école de Christian Tissier Shihan (mais je suis resté avec mon ancien professeur jusqu’au 2ème Dan).

J’ai retrouvé le goût pour les études quand j’ai passé mon bac et que je suis rentré à l’université, où j’ai fait une maîtrise socio-économique. Tous ces changements m’ont fait énormément de bien et j’ai fini par suivre l’enseignement de Christian qui m’a pris sous son aile.

Marc Bachraty et Raoul Bender


L’intégration de la philosophie de l’aïkido s’est-elle faite immédiatement ?

Non, en réalité elle s’est faite plutôt tardivement, car nous étions beaucoup dans le geste et la pratique physique… J’étais jeune et l’on ne réfléchissait pas trop à tout ça, profitant plus du moment présent… il y avait toutefois beaucoup d’enthousiasme, de sincérité et d’engagement, et l’on ne rechignait pas à l’effort. La philosophie s’est intégrée petit à petit et il est vrai que l’on entend rarement les enseignants en parler. On se retrouve souvent à devoir aller chercher ces notions dans les livres (qui ne disent pas toujours tout non plus). C’est une philosophie difficile à appréhender, et pour bien tout saisir il faudrait alors s’intéresser au shintoïsme et au bouddhisme, notamment pour comprendre la pensée du Fondateur. De nos jours, il y a pas mal de livres qui sortent sur ce sujet, mais à l’époque je n’en avais pas, et pour être honnête, je n’en voulais pas, ce n’était pas mon état d’esprit.

A ce sujet, vous avez co-écrit un ouvrage, Aïkido : du tatami à l’éveil de soi. Qu’est-ce qui a motivé ce projet ?

En fait, c’est venu d’une très belle rencontre, avec un ami qui est devenu l’un de mes élèves, Didier Robrieux. Il était élève de Christian Tissier à l’origine, mais à cause de son emploi il a dû venir près de Versailles, à côté de chez moi. On s’était côtoyé sur les tatamis, il m’avait vu grandir, mais il ne me connaissait qu’en tant que pratiquant. Quand il est venu à mon club, il m’a alors dit : « Ecoute, Marc, c’est bizarre… quand tu parles de l’aïkido, tu dis des choses qui me parlent beaucoup, qui résonnent ! Tu as vraiment des choses à dire ! ». Moi cela m’étonnait ! (sourire). Mais un autre de mes élèves, qui écrit également de son côté, est venu me voir en me disant : « Marc, j’aimerais bien faire un projet d’écriture avec toi ». C’était la deuxième fois que l’on me faisait ce type de remarque ! Enfin, lors des stages, on venait me voir pour me demander si l’on pouvait m’emprunter telle ou telle explication, telle image…

Avec tout cela, et à force de côtoyer Didier, on a fini par se décider à mettre les choses par écrit. Nous nous sommes alors retrouvés dans son appartement, à mener de grandes discussions à bâtons rompus, et de ces discussions est né le livre.

Marc Bachraty

Cela vous plairait-il de réitérer l’expérience, ou pensez-vous avoir tout dit dans votre ouvrage ?

Non, je ne pense pas avoir tout dit… C’est un peu comme le Cantique des Cantiques, il y a plusieurs livres dans le livre, et à force de le relire, on le réinterprète un peu différemment ! Et l’expérience fait que l’on est plus précis, que les idées peuvent évoluer, que l’on peut avoir dit des erreurs (même si l’on était sincère sur le moment !). Le but de ce livre, c’était surtout d’expliquer une trajectoire de vie, pourquoi on est resté dans cet art, ce qu’on y a trouvé, comme un témoignage personnel. L’idée, c’était d’être capable d’intéresser les gens à travers mon histoire, de les faire réfléchir à ce qu’ils pourraient trouver ou découvrir par eux-mêmes grâce à l’aïkido.

Mais l’écriture du livre a pris trois ans et demi ! Nous avions même pensé au départ à faire un roman, et j’aurai aimé transposer les différents éléments que l’on mentionne dans le livre en une série d’histoires (mais je ne suis pas vraiment écrivain, et c’est un exercice difficile), avec une héroïne qui trouverait dans l’aïkido les valeurs que l’on mentionne dans le livre. Mais je n’ai pas le talent pour ça ! Heureusement Didier est une belle plume et il a fait un gros travail de réécriture. Nous nous sommes également appuyés sur les citations du Fondateur pour rendre cohérent l’ensemble. De mon côté, cela m’a permis d’aborder enfin des sujets que l’on élude habituellement, comme la notion de Ki, bien que, comme l’on dit dans le Tao Te King, « décrire quelque chose, c’est déjà en perdre l’essence ».

Enfin, le travail d’écriture expose, et perdure, donc engage. Une fois que le livre est publié, nous sommes donc soumis à la critique, ce que j’assume car j’aime aussi cet aspect qui fait avancer les choses et nous rend humble. Et puis je ne suis pas écrivain mais le livre existe, il est chez moi et fait la fierté de ma famille… mais les critiques et comptes-rendus que j’ai lus ont trouvé le livre plutôt sympa, aussi bien sur la forme que le fond (sourire).

Marc Bachraty et Nicolas Rio

Concernant votre pratique, vous considérez-vous toujours comme un élève ?

Bien sûr ! Je ne cesse jamais d’apprendre. Je me questionne toujours sur ma pratique, sur les enseignements que j’ai reçus, que je reçois encore, ou sur la façon de penser tel mouvement comme ceci ou cela. Malgré notre expérience, nous ne sommes pas déconnectés des débutants si l’on poursuit notre recherche. Bien sûr, mon corps ne ment pas, et je vais faire les mouvements avec plus d’aisance que les débutants, mais je rencontre aussi des difficultés, avec des gradés ou des gens plus costauds que moi.

Vous êtes donc toujours l’élève de Christian Tissier Shihan ?

Toujours ! Je suis quelqu’un de loyal, et même si des fois des propos de Christian peuvent être discutés ou faire polémique, je reste droit dans mes bottes. Mon nom et ma carrière professionnelle, je les lui dois. Il a fait beaucoup pour moi, et même si ma pratique est également issue de mes recherches et de ma persévérance, c’est lui qui m’a mis le pied à l’étrier, et je lui en serai redevable toute ma vie.

Vous pratiquez également le karaté (il est 2ème Dan de karaté, NDLR). Cela vient-il enrichir votre aïkido ?

Je ne sais pas… On me dit souvent que mon aïkido est influencé par le karaté, mais je ne le pense pas. Lorsque je donne des cours d’aïkido, je fais peu de liens avec les deux pratiques, car je sais que les aïkidokas ne sont pas forcément intéressés par des techniques qui pourraient être influencées « karaté ». A l’inverse, j’étais la semaine dernière à Poitiers et j’ai donné un cours à des karatékas, durant lequel j’ai mis en place des liens entre les deux disciplines, car mon style de karaté est très influencé par mon aïkido (il s’agit du style Goju-Ryu, « l’alternance entre le dur et le doux »). Il y a en tout cas beaucoup de similitudes entre le karaté et l’aïkido, avec une vraie réflexion sur le corps et sur les énergies. Mais c’est plutôt mon caractère, plus qu’une discipline en particulier, qui a influencé mon attitude, comme la volonté d’avoir une belle et solide prestance par exemple.

Marc Bachraty

Vous avez récemment obtenu votre 6ème Dan d’aïkido. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Pas grand-chose en fait ! (rires). C’est vrai que c’est un haut grade, vraiment important, mais pas tant que cela pour moi. En réalité, je n’ai personnellement pas « besoin » de ces grades, mais c’est important par exemple pour la municipalité de mon club, et puis cela conditionne aussi le regard des autres dans notre microcosme d’aïkidokas (en dehors de ce cercle, les gens s’en moquent en réalité, ils ne nous connaissent pas). Mais je pense que cette notion de reconnaissance sociale fait du mal à beaucoup de monde. Dans mon cas, je me suis beaucoup investi et il est vrai que j’ai été peiné de ne pas le recevoir plus tôt, me sentant dévalorisé alors que c’était mon orgueil qui parlait. Toutefois, le grade est aussi affaire de responsabilité, et pour moi qui suis un peu dissipé, cela n’a pas toujours été évident. Mais je commence à assumer mieux cette charge avec l’âge, et je pense que ma responsabilité est de m’inscrire dans une recherche, de la faire partager aux autres, tout en restant loyal à un système qui m’a donné ce statut. Le 6ème Dan Aikikai, que j’ai également reçu, suppose également que l’on s’inscrit dans une lignée et que l’on doit aussi répondre aux exigences de l’Aikikai. Et pour cette dernière, la définition d’un bon aïkidoka est celle d’un homme qui est utile à la société, ce qui est très important car cela tempère l’ego. De plus, cela favorise l’associatif et la coopétition : on a plus intérêt à être ensemble qu’à être opposé (sinon on ne fait pas de l’aïkido). Il y a cette notion de réciprocité dans notre pratique plutôt qu’une valorisation de l’ego : chacun a quelque chose à offrir. Je prends donc désormais cela en considération, tout en le mêlant à la martialité de notre pratique, et ce 6ème Dan me permet peut-être finalement de m’affranchir de tous les grades précédents pour me consacrer maintenant à ma recherche et au partage de celle-ci.

Marc Bachraty

Est-ce que dans votre recherche, et dans votre développement personnel, vous travaillez également la présence via des exercices de méditation ?

Non, je suis trop mauvais à ça ! (rires).

Vous paraissez pourtant très calme et posé !

Ce n’est qu’une apparence ! (rires). Je suis quelqu’un de très impatient et un peu impulsif. Si quelque chose me gêne, cela me gêne vraiment et je peux vite m’emporter. Mais je dois avouer que je me suis beaucoup calmé, et que je travaille dessus, ne serait-ce que pour évoluer dans une ambiance sereine. Et puis j’adore travailler l’oral, le phrasé, poser ma voix, glisser une blague ou deux pour détendre l’atmosphère… je considère que l’on travaille mieux dans l’amusement. Le Fondateur disait toujours qu’il fallait sourire ! J’essaie aussi de fonctionner dans la vie comme cela. Et si l’on ne m’ennuie pas, je ne vais pas aller déranger les autres sans raison.

Voilà déjà la fin de notre entretien et notre dernière question ! Auriez-vous un conseil à donner aux pratiquants ?

Et bien, j’aime beaucoup la notion de persévérance, elle me tient à cœur. Et si au début, pour les débutants, on peut être un peu perdu dans un univers qui n’est pas forcément le nôtre, et que l’on a impression de comprendre des choses (et que finalement ce n’est pas le cas), il faut persévérer.
Il ne faut également rien attendre, et laisser le corps s’exprimer car il a beaucoup à nous apprendre. Et puis pratiquer régulièrement, sans chercher un résultat particulier, juste pour le plaisir de se retrouver soi-même. Prendre du plaisir à être sur le tatami, tout simplement, car si la technique peut s’apprendre durant toute la vie (il y aura toujours quelqu’un pour l’enseigner), le plaisir de vivre une relation vraie en aïkido est un cadeau dont il faut profiter.
Enfin, l’honnêteté, l’effort et la générosité dans la pratique ouvriront toutes les portes ! (sourire).

Marc Bachraty

Encore un grand merci à Marc Bachraty Sensei pour sa patience, son honnêteté et sa gentillesse. Il a su nous transmettre son enthousiasme et ses valeurs durant ce stage et nous espérons avoir bientôt l’occasion de venir le voir à son Dojo… à vos agendas !

Retrouvez les photos du stage dans notre galerie !

Entretien réalisé par Céline en janvier 2017
Crédits photos : David Duda et Geoffrey Flamant ©AAC, tous droits réservés

2 réflexions sur « Entretien avec Marc Bachraty »

  1. Bravo😊 très bel entretien avec un grand sensei😊

    1. Merci pour ce commentaire élogieux ! Nous sommes ravis que l’entretien vous ait plu 🙂

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