Bonjour à tous,
Alors que la pandémie de COVID-19 nous empêche toujours de retourner sur les tatamis, nous pouvons profiter de cette pause forcée pour découvrir voire approfondir l’histoire et la culture de notre art martial. Après tout, comme le mentionne ici Pierre Fissier (aïkidoka et auteur du site Aïki-hohaï), cet aspect est parfois négligé dans notre apprentissage de la discipline.
Qu’à cela ne tienne, nous avons décidé de porter notre attention aujourd’hui sur un élément présent au quotidien dans l’aïkido et pourtant parfois mal connu : le hakama.
Le hakama, qu’est-ce c’est ?
Le hakama est un vêtement traditionnel japonais : il s’agit d’un pantalon aux jambes larges, comportant un dosseret rigide placé au niveau des lombaires (le koshiita) et plusieurs sangles permettant de nouer le hakama au niveau de la taille. S’il est porté dans la plupart des arts martiaux japonais, c’est également un vêtement qui peut être utilisé dans la vie courante au Japon, bien qu’il soit de plus en plus revêtu dans un cadre officiel ou cérémoniel.
Comme le mentionne Guillaume Erard, le port du hakama semble remonter dès l’ère Heian (794-1185 après J.-C.), où il est alors porté par les femmes de la cour impériale, sous leur kimono. A la période suivante (Kamakura, 1185-1332 après J.-C.), les hommes adoptent également le hakama, et notamment les guerriers à cheval, pour lesquels les deux jambes du pantalon assurent à la fois confort et protection. A partir de cette période, le port du hakama se généralise à toutes les classes sociales, depuis les nobles jusqu’aux ouvriers.
Il existe cependant plusieurs types de hakama : le umanori (aux jambes larges, celui que nous portons en aïkido), le nobokama (aux jambes plus étroites), le tattsuke hakama (« gonflé » aux hanches et cuisses, serré au niveau des genoux et chevilles) ou encore le andon hakama (sans jambes séparées, mais tout de même considéré comme un hakama).
Ci-contre, un homme tend une loupe à Miyamoto Musashi (estampe de Utagawa Kuniyoshi, 1798-1861). Ce dernier porte un tattsuke hakama.
N’oublions pas que, le hakama servant de « pantalon », la majeure partie des disciplines martiales japonaises ne portent pas d’autres vêtements en dessous. Selon Tamura Noboyushi Sensei, la présence d’un pantalon en sous-vêtement dans l’aïkido pourrait être liée à la volonté de ne pas user trop rapidement ce dernier lors du travail en suwari-waza (p. 152 in Budoka no Kokoro, par L. Tamaki et F. Carnet).
Les couleurs du hakama
En aïkido, la couleur la plus fréquemment portée pour le hakama est le bleu indigo ou le noir.
Le bleu indigo, ou aizome, est issu d’une teinture végétale traditionnelle, à base de feuilles de l’arbre « Polygonum tinctorum » : ces feuilles sont broyées, stockées et fermentées (pour plus de détail sur ce processus, n’hésitez pas à consulter cet article rédigé par l’équipe de Seido).
Utilisée autant pour les vêtements des ouvriers que pour ceux des samurai, cette teinture traditionnelle possède plusieurs propriétés : elle est un répulsif à insecte, présente des propriétés antiseptiques et assoupli le tissu, notamment le coton.
Avec le développement de l’industrie et des teintures synthétiques, de nouvelles couleurs sont devenues disponibles : bleu marine, noir, mais également gris, rouge, vert, etc. Il existe également des hakama rayés et des hakama blanc.
Différentes couleurs de hakama proposées par Seido
Le choix de la couleur se fait souvent selon l’art martial que l’on pratique. Dans certaines disciplines, ou certaines écoles (koryu), la couleur peut être explicitement indiquée. Dans d’autres, toutes les couleurs du hakama sont autorisées. A noter que le hakama blanc, porté notamment par le fondateur de l’aïkido Ueshiba Morihei Sensei, ainsi que par Noro Masamichi Sensei (fondateur du kinomichi), n’est pas exclusivement réservé aux plus hauts gradés. Elle est simplement moins courante car plus salissante !
Les mythes autour du hakama
Parce qu’il s’agit d’un vêtement traditionnel japonais, utilisé ici dans une pratique martiale, le hakama alimente parfois de nombreuses légendes. Certaines affirmations s’avèrent toutefois en grande partie infondées :
« Le hakama symbolise un certain avancement dans la pratique »
Oui ET non : dans de nombreuses disciplines martiales, et notamment dans l’iaïdo, le kendo ou le kyudo, le hakama se porte dès le premier cours et constitue la tenue de base du pratiquant. Il en était de même en aïkido, avant la seconde Guerre Mondiale : Tamura Nabuyoshi Sensei témoigne ainsi que « le hakama était également porté par tous les pratiquants, indépendamment du niveau. Il était même interdit de pratiquer sans hakama » (p. 151 in Budoka no Kokoro, par L. Tamaki et F. Carnet).
Tamura Sensei ajoute : « après la guerre, plus encore qu’aujourd’hui, les étudiants étaient souvent désargentés ! A cause de cela, certains ne pouvaient pas pratiquer et j’ai alors demandé à Kisshomaru Sensei s’il était possible qu’ils n’achètent le hakama que pour la seconde année de pratique […]. Au Japon, les étudiants d’université pratiquaient généralement quotidiennement et ils atteignaient normalement normalement le niveau de 2ème kyu au bout d’un an. […] Lorsque je suis arrivé en France, j’ai essayé de faire en sorte que tous les élèves portent le hakama mais cela n’a pas marché. Des professeurs pensaient que cela motivait les élèves à continuer à pratiquer. » (ibid).
Ce point historique est d’ailleurs développé par Guillaume Erard :
« Le temps passant, cette dérogation devint une règle, jusqu’au point où le port du hakama devint de « non obligatoire jusqu’à tel grade » à « interdit avant tel grade ». Il est intéressant de noter que des écoles telles que le Yoshinkan de Shioda Gozo sont allées encore plus loin en interdisant le port du hakama avant le 4ème Dan, alors que d’autres, en judo et jujutsu en particulier, en ont pratiquement abandonné le port à part durant les kata ou les travaux aux armes. »
De nos jours en aïkido, le port du hakama est décidé par le ou les enseignant(s) du club, généralement entre le 3ème et le 2ème Kyu. Il peut être investi ou non d’une symbolique (récompense d’un certain niveau, d’un investissement, d’une progression, etc.).
« Le hakama sert à dissimuler les mouvements des pieds et des jambes »
Non. En réalité, avant l’affrontement, les guerriers japonais remontaient leur hakama, susceptible de les gêner dans leurs mouvements. Ainsi, « sur les estampes d’époque, mais également via les traditions conservées dans certaines écoles de combats, on remarque très clairement que le hakama remonte au-dessus de la cheville d’une part, et qu’il sera parfois attaché lors des combats d’autre part. » (extrait de l’article de l’équipe de Seido sur le sujet). On peut également observer sur ces mêmes estampes que, dans le cas où le samouraï est équipé de son armure, il porte des jambières de protection, contraignant le hakama en partie basse.
« Les sept plis du hakama symbolise les sept vertus du samourai »
Peut-être…
Voici les sept vertus auxquelles il est fait référence :
Jin (仁) : la bienveillance
Gi (義) : l’ honneur et la justice
Rei (礼) : la courtoisie et l’étiquette
Chi (智) : la sagesse et l’intelligence
Shin (信) : la sincérité
Chu (忠) : la loyauté
Koh (孝) : la piété
Toutefois, il semble que cette association des plis et des vertus soit moderne : « les historiens pensent même qu’il s’agit en fait d’une invention récente datant de l’ère Meiji. »(Guillaume Erard). Si certains grands sensei de l’aïkido reprennent cette association (comme Saotome Mitsugi Sensei), d’autres, comme Tamura Nobuyoshi Sensei, précisent qu’ils n’ont jamais entendu parler de ce lien eux-même et qu’O Sensei ne l’a jamais mentionné (p. 151 in Budoka no Kokoro, par L. Tamaki et F. Carnet).
De plus, le nombre de plis des hakama pouvant varier (avec seulement cinq plis), aucune liste « officielle » des vertus n’existe réellement. Notons également que d’autres disciplines, comme le judo, ont établi leur propre code moral inspiré de ces vertus.
Nous espérons que ce zoom sur ce vêtement particulier vous a plu et intéressé. Nous vous donnons rendez-vous bientôt pour de nouveaux articles, et d’ici là, continuez à prendre soin de vous.
Céline
Bonjour à tous, Prenez soin de vous. Il me reste des terrines pour des jours meilleurs. Bises. Jacques
Bien écrit, intéressant et instructif. Merci Céline !
Merci Christophe pour ton commentaire adorable !
Ton commentaire est plus qu’intéressant Jacques ! J’espère te revoir avant qu’il ne soit périmé…
Même sans les terrines, nous avons hâte de te retrouver Jacques ! A très bientôt !